Interview de Damien Comolli

Publié le par footballligue1

Damien Comolli, né le 24 Novembre 1971 est un directeur sportif français.

Damien Comolli devient entraîneur de la catégorie des moins de 16 ans de l'AS Monaco en 1992. A la suite de cette expérience, il obtient ses diplômes d'entraîneur mais il est recruté par Arsène Wenger à Arsenal et devient ainsi recruteur des Gunners de 1998 à 2004. En Juin 2004, Damien Comolli quitte ses fonctions à Arsenal et s'engage en faveur de l'AS Saint-Etienne dont il devient le directeur sportif. En Septembre 2005, il quitte les Verts et rejoint Tottenham en qualité de manager général du club. Il revient à la suite de son expérience londonienne à Saint-Etienne en 2008 mais démissionnera de son poste pour signer avec le Liverpool FC le 4 Septembre 2010. Il est promu directeur sportif des Reds de Liverpool peu de temps après son arrivée. Le 12 Avril 2012, Damien Comolli et Liverpool mettent fin à leur collaboration par "consentement mutuel".

 

 

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- Que faites vous depuis votre départ de Liverpool ? Avez-vous reçu des propositions depuis votre départ de Liverpool en Avril 2012 ?

 

Damien Comolli : J'essaye de prendre un peu de repos et de passer du temps avec ma famille et mes amis ce que je n'ai pas eu le temps de faire depuis 20 ans.

 

Je participe également à des conférences et suis invité dans différents pays en Europe et ailleurs ce qui me permet d'étendre mon réseau de contacts ( un élément clé dans notre métier). J'en profite également pour voir des matchs dans ces pays, et j'ai également vu quelques matchs en France et surtout des matchs en Angleterre.

 

Au delà du niveau professionnel, j'aime beaucoup regarder ce qui se fait dans la formation des jeunes joueurs dans différents pays et clubs, car c'est un des sujets qui me passionnent dans le foot.

Enfin, je discute avec beaucoup de personnes qui me proposent des opportunités pour retourner dans un club ou donner une orientation différente à ma carrière.

 

- Après avoir exercé de nombreux postes de direction en France et en Angleterre, quel est votre plus beau souvenir et à l'inverse votre pire souvenir ?

 

Damien Comolli : Il est difficile de retenir un moment particulier, même si les trophées que l'on gagne ont une saveur particulière. Il y a aussi la saveur d'être assis dans la royal box à Wembley pour des finales de coupe, qui est un grand moment de fierté car cela n'a pas du arriver à beaucoup de français et le symbole Wembley, temple du football mondial, c'est quelque chose ! Pour tout anglais supporteur d'une équipe de foot, aller à Wembley pour voir son équipe jouer est l'honneur suprême. Il faut croire que c'est mon côté anglais qui prend le dessus quand je parle comme cela.

 

Même, si je n'avais pas un poste de direction, aller à ma première final de FA Cup avec Arsenal en 1998 à Wembley, en plus pour faire le doublé, a été un grand moment.

 

J'étais très heureux de participer a la fête tout en travaillant pour le club et j'étais tellement content pour Arsène car il avait réalisé quelque chose d'extraordinaire.

 

Enfin gagner le derby à Lyon en 2010 avec l'ASSE et être 1er au classement est un excellent souvenir. Surtout car j'avais une complicite totale avec C.Galtier dans le travail et nous avons développé une grande amitié en dehors du travail.

 

Pour ce qui est des mauvais souvenirs, il y en a quelques uns...chaque fois que l'on quitte un club, ou bien quand on travaille dans un club sans perspective de progression ou dans une ambiance totalement malsaine. Et bien sur il y a les défaites, celles qui font très mal et dont on ne se se remet jamais totalement. Les cicatrices sont toujours la.

 

- Avez-vous des regrets aujourd'hui sur des joueurs que vous n'avez pas réussi à attirer dans vos clubs ?

 

Damien Comolli : On a toujours des regrets sur des joueurs que l'on a "loupé". Mais je crois que l'analyse est différente suivant les cas. Quand vous échouez à faire venir un joueur mais, qu'il vous donne raison d'avoir tout essayer pour le prendre car il réussi ailleurs, cela vous laisse beaucoup de regrets mais au moins sa réussite vous conforte dans votre analyse.

 

Ce qui fait beaucoup plus de mal c'est quand vous décidez de ne pas prendre un joueur et qu'il réussi ailleurs. Cela vous pousse à vous poser beaucoup de questions et à vous remettre en cause. En tout cas c'est toujours comme ça que j'ai réagi dans ces cas la. J'effectuais toujours un débriefing de ce qui s'est passé et du processus qui nous a amené à ne pas prendre ce joueur. J'insiste beaucoup la dessus avec mes recruteurs. Il ne faut pas être dans une démarche de " c'est pas ma faute, c'est la sienne" mais tout mettre sur la table pour être sur que tout le processus de décision et d'analyse a été respecté et s'il l'a été, peut être qu il fait aussi remettre ce processus en cause.

 

J'ai toujours procédé comme ça, depuis que j'ai commencé comme scout à arsenal 1997. Un joueur comme Gallas par exemple m'a "échappé" quand il était à Marseille et qu'il a signé à Chelsea. Je m'en suis voulu pendant longtemps. Mais l' important c'est que je sais pourquoi je me suis trompé, ce qui permet de ne pas refaire la même erreur.

 

Bon, il faut quand même relativiser les échecs, car on est amener à prendre tellement de décisions sur des joueurs dans ce métier, que l'on ne peut pas avoir tout juste. Personne n'a jamais tout juste. Des chercheurs US ont prouvé qu'un recrutement réussi dans les 4 sports majeurs aux USA, l'est à partir de 50%. C'est à dire que si vous prenez 8 joueurs et que 4 sont un succès, vous avez réussi ! Cela va à l'encontre des perceptions de la presse, des supporters et surtout des dirigeants/propriétaires de club qui demandent 100% de réussite.

 

Ce qu il faut savoir c'est que l'on met autant d'effort et de professionnalisme dans l'observation et le,travail sur un joueur qui est un échec que sur un qui est un succès. Les "due diligence" sont exactement les mêmes ! Sauf que l'on a à faire à des humains, on achète ni des actions, ni des immeubles, ni du pétrole. Donc c'est l'humain dont va déprendre le succès ou l'échec. D'ou le côté aléatoire et l'importance énorme de l'aspect psychologique dans la réussite d'un joueur. Pour réussir il faut qu'il soit au bon endroit au bon moment.

 

- Léonardo via QSI a déboursé plus de 100 millions d'euros dans les transferts. Or, le PSG est aujourd'hui second et ne pratique pas encore le football que l'on est en droit d'attendre. Des erreurs ont-elles été commises par Léonardo depuis sa prise de fonction ?

 

Damien Comolli : Je suis bien incapable de vous répondre, notamment en référence à ma réponse à la question ci-dessus. Il faut être à l'intérieur d'un club pour connaître les tenants et les aboutissants. Être un commentateur extérieur, c'est la facilité mais on commente sans avoir les informations.

 

En plus je trouve toujours injuste et illogique de tirer des conclusions sur un recrutement après seulement une saison. Quand on prend un joueur c'est sur une perspective de trois ou quatre saisons, pas sur une seule. Donc il faut se laisser du temps avant de faire un bilan.

 

On a beaucoup été critique à Tottenham quand on a pris Assou Ekotto, Bale, Kaboul, Modric, Berbatov. Nous savions que c'étaient de très bon joueurs, il fallait juste leur laisser du temps.

 

De même quand on a fait venir Kolo Toure à Arsenal, il jouait milieu droit ! Mais on savait qu'avec le temps il repasserait derrière. À l'arrivée et après deux années au milieu, il a fait parti de la défense des invincibles ! Et quand on a fait venir R.Pires qu'est ce qu on a entendu!

 

Il faut donc laisser du temps à Leonardo et aux joueurs qu'il a fait venir. Et plus ils sont jeunes et talentueux , plus il faut être patient.

 

- La France vient de perdre une place au classement UEFA au profit du Portugal après de mauvais parcours européens. Quel regard portez-vous sur la Ligue 1 ? Quel est le problème du football français ?

 

Damien Comolli :  Vaste questions. Je ne pense pas qu'il faille voir une corrélation directe entre le classement UEFA et le niveau de la Ligue 1. Cela est plus du à la manière dont les clubs français approchent l'Europa League car en Champions League, les clubs français sont présents et compétitifs. Ils se qualifient généralement pour les 16ème ou les 1/4 voire 1/2 pour le Lyon de mon ami C.Puel.

 

Par contre j'ai du mal à comprendre pourquoi les clubs français se battent toute la saison pour être européen et ne jouent pas avec leur meilleure équipe en Europa League ! Ça c'est un grand mystère pour moi. D'autant plus que cette vision à court terme à provoquer sur le long terme la perte d'une place au classement UEFA ce qui devient un gros handicap pour la qualification pour la Champions League, pour laquelle tous les clubs qui ne mettent pas leur meilleure équipe en Europa League se battent toute l'année!!

 

Personne ne me fera croire que la Ligue 1 est d'un niveau inférieur au championnat portugais. Je vois des matchs à travers l'Europe 11 mois sur 12, on connaît le niveau des championnats. Pour moi la L1 se dispute la 4ème et 5ème place avec l'Allemagne. La Liga, la Premier League et la Serie A sont au dessus.

 

La L1 est un championnat de bon niveau, avec de très bons joueurs. Quand vous travaillez dans des grands clubs comme Tottenham ou Liverpool, croyez moi vous suivez de très prêts pas mal de joueurs de L1. Voire de L2 pour les jeunes joueurs.

 

Je pense que le football français et ses acteurs doivent passer une barrière mentale pour aller vers la notion de spectacle, ce que G.Houiller appelé l'entretainement. Les acteurs du foot ont un devoir de plaire et de divertir en plus de celui de gagner des matchs.

 

La qualité dans le jeu et la volonté de faire du spectacle, d'aller vers l'avant et donc de marquer des buts est très présente en Premier League, Bundesliga et en Liga. On doit tendre vers cela en France .

 

La Premier League a battu son record de buts marqués cette saison et la Bundesliga tourne à une moyenne de buts par match supérieures à tous les autres grands championnats.

 

Il est vrai que l'on peut parler de stades hors d'âge, de taxation,etc... mais pour faire venir des gens au stade ou les faire regarder des matchs à la TV, il faut proposer du spectacle ! Et être moins restrictif dans le jeu.

 

Quand on parle d'entretainement, et donc de spectacle, on doit aussi dire un mot sur l'arbitrage. Le football français a un véritable problème d'arbitrage, ce que plus personne ne conteste, je pense, et qui est confirmé par l'UEFA et la FIFA puisque les arbitres français n'arbitrent aucun grand match international. Ce qui surprend le plus quand on voit des matchs en France c'est à quel point la façon d'arbitrer et l'attitude des arbitres nuisent au spectacle et à ce que les anglais appellent "the flow of the game", c'est à dire le rythme du match. On ne peut pas avoir un rythme élevé si l'arbitre arrête le jeu, hâche le jeu, en sifflant pour de très petites fautes en permanence. On entend souvent les commentateurs TV en Premier League dirent "c'était une faute mais l'arbitre a décidé de laisser le jeu se dérouler".

 

- Les première sanctions pour non respect du fair play financier pourraient tomber à l'horizon 2014-2015. Or, Lyon, Marseille et Paris restent en déficit chaque saison. Quelle stratégie doivent-ils adapter à l'avenir ?

 

Damien Comolli : D'abord, est-ce que le Fair play financier sera un mythe ou une réalité? Je demande à voir. Je suis à fond pour que cela se mette en place car je n'aime pas le doping financier. Aucun des trois clubs dans lesquels j'ai travaillé en Premier League n'a cette mentalité. L'impératif dans ces 3 clubs c'est de n'investir et/ou ne dépenser que ce que l'on gagne.

 

Mais de manière pratique, comment l'UEFA va mettre cela en place, avec quels contrôles et surtout quelles sanctions? Comment la Cour de Justice Européenne va orienter la jurisprudence si un club conteste les règles? Comment prouver qu'un deal commercial de naming rights ou de sponsors maillots n'est pas en accord avec le reste du marché ?

 

Ensuite il n y a pas beaucoup de stratégies possible. Soit vous réduisez votre train de vie pour arrivez au 55% entre recettes et dépenses, soit vous augmentez vos recettes considérablement. À part les recettes guichets, les droits commerciaux et les droits TV, je ne vois pas ce qui peut se faire de plus. Beaucoup de clubs attendent énormément du naming rights, mais le gâteau n'est pas extensible.

 

En tout cas, si le Fair play financier était mis en place demain, Liverpool serait en très bonne position.

 

- Contrairement à la Premier League, la Ligue 1 n'attire pas les investisseurs étrangers. Quelles sont les raisons de ces échecs ?

 

Damien Comolli : Je ne pense pas que cela soit un échec, car à part la Premier League, le PSG, la Roma et Malaga, qui attire des investisseurs étrangers de très haut niveau ? Il y a un phénomène extraordinaire d'attirance en Premier League qui est dû à plusieurs facteurs. D'abord le fait que beaucoup de milliardaires, quelque soit leur nationalité vivent à Londres. Ensuite il y a la proximité culturelle et linguistique avec les USA. Et les investisseurs US qui ont des clubs de Premier League sont aussi présents dans les sports aux USA. Ils ont un intérêt pour le sport en général et ne sont pas des novices. Pour eux, ce sport le plus populaire au monde est un challenge car ils veulent y réussir et la Premier League étant le championnat le plus populaire, c'est là qu'ils veulent être.

 

Après, c'est un cercle vertueux. Plus il y a de gens qui investissent, plus ils en attirent d'autres, plus le championnat devient compétitif et attractif, donc les droits TV et de sponsoring augmentent, etc....

 

C'est un phénomène qui est fascinant à vivre, et je pense que cela est loin d'être fini.

 

 

 

                                                                                                                                 Interview réalisée par Maxime Destampes

 

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